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jeudi 22 mars 2012

A MA MUSULMANE




Depuis que j’ai connu la guerre alors que j’avais onze ans, j’entendais parler d’un ennemi encore inconnu de moi. Cet adversaire, on me l’a décrit comme un être barbare, rancunier, sanguinaire. Je vivais dans la hantise de devenir un jour la victime de cet individu à la faux acérée. Peu de temps plus tard, Il commença à prendre forme, à avoir un nom car je grandissais et découvrais le jeu des grands. Cet homme-là, ou plutôt cette « race » si redoutée se nommait « musulman ». J’avais peur de ce musulman. Je l’imaginais tel un Cyclope, ayant un œil sur moi. Je l’imaginais envahisseur voulant usurper mon pays, voler mes biens, violer ma paix. En tant qu’adolescente, je me disais quand, pour les rares fois, où je rencontrais un musulman, « Haram, il est musulman, il devait être chrétien, il est beau ; n’est- il pas gêné de faire partie de ces gens barbares ? »
Et le temps passa. La guerre sévissait et l’abîme se creusait. Les murs de la haine s’érigeaient, les lignes de démarcation prirent place pour des décennies interminables. Nous vécûmes, deux libanais, chacun dans la hantise de l’autre, craignant les griffes de l’autre. Nous étions tels des rapaces, acharnés autour d’une seule proie, un seul morceau indissociable, une patrie ensanglantée par la haine de deux frères ennemis. Nous l’avions saccagée, cette patrie, notre pays à tous deux, notre Liban. Les Chrétiens craignant le voile et le régime, les Musulmans appréhendant la liberté des « Koffars », ces blasphémateurs.
Et les années passèrent. Je grandis. La guerre changea de visage, prit un autre nom, une autre envergure. Les ennemis pullulèrent. Un jour, bien plus tard, il m’a fallu déraciner cette idée de ma tête. Je grandissais et constatais que cet être –là qui partageait le même pays, qui roulait sur les mêmes routes, qui respirait le même air vicié me ressemblait comme deux gouttes d’eau. Oui, rien ne le distinguait de moi. Il était croyant et adorait le même Dieu. Il avait la même physionomie, les mêmes ambitions. Tous les deux aimions notre patrie. Nous étions, tous les deux identiques. Nous étions tous les deux compatriotes. Nous servions le même pays. Nous étions Libanais.
Depuis ce jour-là, je décidai de ne plus être la proie des grands de ce monde qui veulent désunir les autres afin de mieux régner. Je pris la résolution d’aimer cette personne contre vents et marées. Je suis, désormais, déterminée à la respecter ainsi que ses croyances.
Actuellement, je me sens aux anges quand j’entends le carillon et la voix du muezzin appeler les croyants à la prière. Je suis émue quand le prêtre lève le calice durant la prière de l’Eucharistie et qu’à l’autre bout de la ville, au moment même, on entend l’Allah Akbar…. Quelle joie de vivre dans un pays diversifié à tous les points de vue ! Pour moi, c’est une source de richesse.
Je te demande pardon, toi, ma musulmane, que j’avais mal jugée dans le temps. Tendons-nous les mains, joignons nos différences afin de nous enrichir. Bâtissons un havre de quiétude où nous serons frères dans l’humanité. Démolissons les murs de rancune, abolissons les adversités. Nous étions manipulés tels des pantins disloqués. Unissons-nous, soyons forts envers les forces du Mal qui démolissent les ponts de la fraternité.
Amin, Amen….

10 mars 2012